Lire Henri Michaux
- Eric Dabancourt

- 22 oct.
- 2 min de lecture

Ce que je fais, est-ce simplement dessiner en pauvre, comme fait celui qui joue de la guitare avec un seul doigt ?
Comme moi, la ligne cherche sans savoir ce qu’elle cherche, refuse les immédiates trouvailles, les solutions qui s’offrent, les tentations premières. Se gardant d’"arriver", ligne d’aveugle investigation.
Sans conduire à rien, pas pour faire beau ou intéressant, se traversant elle-même sans broncher, sans se détourner, sans se nouer, sans à rien se nouer, sans apercevoir l’objet, de paysage, de figure.
À rien ne se heurtant, ligne somnambule.
Par endroits courge, toutefois non enlaçante.
Sans rien cerner, jamais cernée.
Ligne qui n’a pas encore fait son choix, pas prête pour une mise au point.
Sans préférence, sans accentuation, sans céder entièrement aux attirances.
…Qui veille, qui erre. Ligne célibataire, qui tient à le rester, à garder ses distances, qui ne se soumet pas, aveugle à ce qui est matériel. Ni dominante, ni accompagnatrice, surtout pas subordonnée.
Plus tard, les signes, certains signes. Les signes me disent quelque chose. J’en ferais bien, mais un signe, c’est aussi un signal d'arrêt. Or en ce temps, je garde un autre désir, un par-dessus tous les autres. Je voudrais un continuum. Un continuum comme un murmure, qui ne finit pas, semblable à la vie, qui est ce qui nous continue, plus important que toute qualité.
Impossible de dessiner comme si ce contenu n’existant pas. C’est lui qu’il faut rendre.
Échecs.
Échecs.
Essais. Échecs.
Faute de mieux, je trace des sortes de pictogrammes, plutôt de trajets pictographiès, mais sans règles. Je veux que mes tracés soient le phrasé même de la vie, mais double, mais déformable, sinueux. Autour de moi, les hochements de tête embarrassés de personnes voulant du bien, …je me fourvoyais … au lieu d’écrire, tout simplement.
Henri Michaux
extrait de Émergences, Résurgences
Éditions Skira, 1972, Flammarion 2025.
Remerciement à Marine Bougeois pour son exposition "Parabole du geste"
Iconographie : Henri Michaux - Musée - Abbaye de Beaulieu-en-Rouergue.




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